Journal de guerre de mon oncle Bordelais réfugié à la campagne.
10 janvier 1941
Nous recevons en ce moment des lettres de Bordeaux et de Paris décrivant avec une certaine angoisse les difficultés de ravitaillement, doublées, pour le bordelais, par l’angoisse des bombardements. On nous demande d’envoyer des volailles, patates, et autres victuailles à n’importe quel prix.
La taxation des produits donne lieu à un « marché noir ». Cette attitude des agriculteurs conforme à la célèbre loi de l’offre et de la demande, démontre à quel point l’esprit de solidarité nationale fait défaut. Au surplus, les paysans sont persuadés que leurs produits sont destinés aux occupants, et ils ne veulent pas, disent-ils « travailler pour les Boches ». Etat d’esprit néfaste à tous points de vue, car, si les Allemands achètent individuellement beaucoup dans les magasins, ils n’ont pas – apparemment au moins – procédé à des réquisitions chez les producteurs agricoles, sauf dans la période qui a suivi immédiatement l’armistice. Les métayers peuvent prétexte de ce on-dit pour travailler sans acharnement.
Janvier 1941
La disette se fait cruellement sentir en ville : un voyage à Bordeaux m’a édifié à ce sujet : les gens maigrissent : pas de légumes, pas de poisson, petite ration de viande les jours où celle-ci est autorisée, pas de beurre, pas de graisse : les restaurants ne sont pas mieux lotis : menu au Louvre pour 16 F : bouillon de légumes, petite rondelle de merlus à la sauce vinaigrette sans huile, macédoine de légumes (petits pois, carottes, taupines) avec une vague sauce – une mandarine. Le tout, après absorption, laissant une impression de vide stomacal. Pourtant, on mange bien, généralement, à ce restaurant. J’ai au surplus, reluqué les menus d’autres restaurants du même genre, et c’était nettement inférieur. Les pauvres citadins se plaignent amèrement, sans prendre toutefois la situation au tragique – sauf peut-être les gourmets et gros mangeurs – mais à ceux-là quelques restrictions ne font, en somme pas de mal.
Le Dimanche de Pâques (13 Avril) nous avons été réveillés à 1h 1/2 du matin par un fort bombardement du côté de Bordeaux : cela a duré jusqu’à 4 h du matin. La même cérémonie a eu lieu le lendemain, mais nous n’(avons pas entendu. Il y a des dégâts en ville, vers le jardin public, et aussi, paraît-il, au camp de prisonniers de S…(illisible)
8 Juin 41
Nous sommes allés, Milette et moi, passer deux jours à Bordeaux. Nous avons remarqué que l’animation y est grande : il semble qu’il y circule un grand nombre de civils allemands des deux sexes. L’élégance d’antan n’est plus : la carte de vêtements n’a pas encore été distribuée, bien que les tickets soient exigibles pour cela aussi : les gens attendent donc la carte… et les beaux jours, pour refaire dans la mesure du possible, leur vestiaire d’été. Ce qui est lamentable en ville, ce sont les queues de centaines de personnes attendant leur tour pour avoir des vivres ! Que de pauvres gens perdent ainsi leur temps pour se ravitailler. Il semble cependant que les personnes qui ont des fournisseurs attitrés dans leurs quartiers ont moins de difficultés… mais sans doute ceux qui font la queue aux grands magasins ce comestibles cherchent-ils à payer moins cher. Cela n’en est que plus lamentable, car actuellement, avec de l’argent, on peut se procurer des primeurs. A mon avant dernier voyage à Bordeaux, les petits pois valaient 30 F le kilo ! Depuis, ils ont été taxés à 10 F je crois.
Visité une exposition de propagande de « L’Allemagne Moderne » au Musée de l’Hôtel de Ville. Présentation sobre et de bon goût : mais en somme, rien de très nouveau : la France serait tout aussi capable de présenter ses réalisations d’usines modèles, de stades, de piscines… etc. Peut être le nombre der ces réalisations est-il plus grand en Allemagne, parce que c’est un pays plus industriel, mais en somme il ne ressort de cette exposition rien de sensationnel ou d’inédit… si ce n’est le pavoisement du jardin de la mairie avec d’immenses bannières à croix gammée et une tête d’Hitler en bronze (le monsieur est passablement « stylisé ») très bien présentée au milieu d’un parterre d’hortensias, comme une jolie femme. Le personnel de l’exposition est français ! (gardiens, filles de salle, etc.). J’étais, comme publiciste, invité à l’inauguration : les autorités – préfet, maire, etc. – y ont assisté et se sont sans doute confondues en airs admiratifs devant ces messieurs en uniforme. Dignité ! Dignité ! Dignité !
10 janvier 1941
Nous recevons en ce moment des lettres de Bordeaux et de Paris décrivant avec une certaine angoisse les difficultés de ravitaillement, doublées, pour le bordelais, par l’angoisse des bombardements. On nous demande d’envoyer des volailles, patates, et autres victuailles à n’importe quel prix.
La taxation des produits donne lieu à un « marché noir ». Cette attitude des agriculteurs conforme à la célèbre loi de l’offre et de la demande, démontre à quel point l’esprit de solidarité nationale fait défaut. Au surplus, les paysans sont persuadés que leurs produits sont destinés aux occupants, et ils ne veulent pas, disent-ils « travailler pour les Boches ». Etat d’esprit néfaste à tous points de vue, car, si les Allemands achètent individuellement beaucoup dans les magasins, ils n’ont pas – apparemment au moins – procédé à des réquisitions chez les producteurs agricoles, sauf dans la période qui a suivi immédiatement l’armistice. Les métayers peuvent prétexte de ce on-dit pour travailler sans acharnement.
Janvier 1941
La disette se fait cruellement sentir en ville : un voyage à Bordeaux m’a édifié à ce sujet : les gens maigrissent : pas de légumes, pas de poisson, petite ration de viande les jours où celle-ci est autorisée, pas de beurre, pas de graisse : les restaurants ne sont pas mieux lotis : menu au Louvre pour 16 F : bouillon de légumes, petite rondelle de merlus à la sauce vinaigrette sans huile, macédoine de légumes (petits pois, carottes, taupines) avec une vague sauce – une mandarine. Le tout, après absorption, laissant une impression de vide stomacal. Pourtant, on mange bien, généralement, à ce restaurant. J’ai au surplus, reluqué les menus d’autres restaurants du même genre, et c’était nettement inférieur. Les pauvres citadins se plaignent amèrement, sans prendre toutefois la situation au tragique – sauf peut-être les gourmets et gros mangeurs – mais à ceux-là quelques restrictions ne font, en somme pas de mal.
Le Dimanche de Pâques (13 Avril) nous avons été réveillés à 1h 1/2 du matin par un fort bombardement du côté de Bordeaux : cela a duré jusqu’à 4 h du matin. La même cérémonie a eu lieu le lendemain, mais nous n’(avons pas entendu. Il y a des dégâts en ville, vers le jardin public, et aussi, paraît-il, au camp de prisonniers de S…(illisible)
8 Juin 41
Nous sommes allés, Milette et moi, passer deux jours à Bordeaux. Nous avons remarqué que l’animation y est grande : il semble qu’il y circule un grand nombre de civils allemands des deux sexes. L’élégance d’antan n’est plus : la carte de vêtements n’a pas encore été distribuée, bien que les tickets soient exigibles pour cela aussi : les gens attendent donc la carte… et les beaux jours, pour refaire dans la mesure du possible, leur vestiaire d’été. Ce qui est lamentable en ville, ce sont les queues de centaines de personnes attendant leur tour pour avoir des vivres ! Que de pauvres gens perdent ainsi leur temps pour se ravitailler. Il semble cependant que les personnes qui ont des fournisseurs attitrés dans leurs quartiers ont moins de difficultés… mais sans doute ceux qui font la queue aux grands magasins ce comestibles cherchent-ils à payer moins cher. Cela n’en est que plus lamentable, car actuellement, avec de l’argent, on peut se procurer des primeurs. A mon avant dernier voyage à Bordeaux, les petits pois valaient 30 F le kilo ! Depuis, ils ont été taxés à 10 F je crois.
Visité une exposition de propagande de « L’Allemagne Moderne » au Musée de l’Hôtel de Ville. Présentation sobre et de bon goût : mais en somme, rien de très nouveau : la France serait tout aussi capable de présenter ses réalisations d’usines modèles, de stades, de piscines… etc. Peut être le nombre der ces réalisations est-il plus grand en Allemagne, parce que c’est un pays plus industriel, mais en somme il ne ressort de cette exposition rien de sensationnel ou d’inédit… si ce n’est le pavoisement du jardin de la mairie avec d’immenses bannières à croix gammée et une tête d’Hitler en bronze (le monsieur est passablement « stylisé ») très bien présentée au milieu d’un parterre d’hortensias, comme une jolie femme. Le personnel de l’exposition est français ! (gardiens, filles de salle, etc.). J’étais, comme publiciste, invité à l’inauguration : les autorités – préfet, maire, etc. – y ont assisté et se sont sans doute confondues en airs admiratifs devant ces messieurs en uniforme. Dignité ! Dignité ! Dignité !