Par Jean-Paul Vigneaud Souvenirs de sang et béton mêlés Le monument érigé en l'honneur des réfugiés espagnols sera inauguré le 14 avril. À la base sous-marine, à Bordeaux, un monument de béton sera inauguré le 14 avril pour rappeler la souffrance des républicains espagnols. ( Philippe Taris) Le drapeau des républicains espagnols flotte au pied de la base sous-marine. Plus qu'un symbole. C'est là, il y a 70 ans, que 3 000 réfugiés espagnols venaient tous les matins, en rangs serrés et sous bonne garde, participer à la construction de la base. Les pieds dans l'eau, les mains dans le ciment ou au milieu des ferrailles. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il gèle. Pas le droit de contester les ordres, pas le temps de souffler, pas le temps non plus de secourir les camarades épuisés ou victimes d'un accident. Plus de 70 personnes ont perdu la vie sur ce chantier géant. On dit même que certaines, prisonnières du béton dans lequel elles auraient chuté, seraient toujours ici ensevelies. Trois flèches montent au ciel Tout est écrit. Difficile à imaginer toutefois lorsqu'on découvre la base sous-marine. Aussi, en 2005, Antonio Cordoba Alcaide et quelques fondus d'histoire comme lui ont eu l'idée de construire un monument. L'Association pour le mémorial est née. Sept ans plus tard, le monument est là. 4,50 m de haut. Trois flèches de béton dirigées vers le ciel. Et tout en haut, le fameux drapeau. Sur l'une des flèches, une œuvre en relief signée Régis Pedros résume tout. Tout au fond, la chaîne des Pyrénées, l'Espagne. Devant, un ouvrier qui s'échappe du chantier, la tête haute, en écrasant de ses pieds les barrières. Jamais soumis, jamais vaincu ! Sur les deux autres flèches, des documents rappellent l'histoire des lieux et le sacrifice des réfugiés espagnols et des autres communautés présentes. Une réalisation facile ? Eh bien non ! La construction de ce monument a ravivé les vieilles querelles entre anciens républicains, enfants de Républicains et Espagnols tout court. « Il faut faire ci… Non plutôt ça… » De telles divergences que l'on a cru un moment qu'il y aurait deux monuments : un au bord de l'eau, un contre la base. « C'est oublié tout cela ! » souligne Luis Diez, le président de l'association de défense des intérêts de Bacalan. « Sur certains points, ne serait-ce que sur le plan politique, nous n'arriverons jamais à nous entendre mais pour le monument, nous sommes parvenus à un accord. Et le 14 avril, jour de l'inauguration, on sera tous là ! Des Espagnols feront même le déplacement. » Le 14 avril n'a pas été choisi par hasard. Ce sera le 81e anniversaire de la création de la Seconde République espagnole (le14 avril 1931). Antonio Cordoba, président d'honneur de l'Association pour le mémorial, sera au premier rang. « Je suis content de voir que tout a pu aboutir », dit-il avec beaucoup d'émotion. Il y aura bien évidemment aussi Joan Fabra-Gratacos, le président actif de l'association qui a réussi à rassembler tout le monde et boucler l'opération. Heureux, il l'est aussi. Inquiet, il l'est cependant tout autant. Pas pour l'inauguration, mais pour le paiement des factures. 35 000 euros ont été dépensés, 25 000 euros restent à régler. Or, il n'y a plus d'argent dans les caisses. La faute aux collectivités. Seul le Conseil général des Landes a envoyé 3 000 euros sans discuter. « Le Conseil régional et la Ville de Bordeaux ont aussi promis de nous aider mais on n'a toujours rien reçu. Quant au Conseil général de la Gironde, il dit qu'il nous faut faire l'avance, il donnera l'argent ensuite. Mais on n'a pas d'avance ! Comment fait-on ? » Le président Fabra-Gratacos fait donc le porte-à-porte pour trouver une solution . Encore plus depuis que l'un des entrepreneurs chargés d'une partie chantier est venu taper sur la table en disant : « Si vous ne me payez pas, je viens avec un bulldozer et je rase tout. » Coup de bluff ou menace réelle ? L'histoire continue…