Henri Salmide, le "Von Choltitz bordelais" ? |
Heinz Stahlschmidt |
Il y a les faits glorieux injustement célébrés (
Von Choltitz "sauveur de Paris"), mais aussi injustement oubliés, comme l'audacieux coup de main de Heinz Stahlschmidt, sous-officier de la Kriegsmarine, qui fit sauter, seul, le 22 août 1944 le dépôt de munitions contenant les charges explosives destinées à détruire le port de Bordeaux au départ des troupes d'occupation allemandes.
Ce sous-officier mécanicien (feldwebel artificier), soldat modèle, aux convictions de jeunesse national-socialistes affirmées, valeureux rescapé de deux naufrages en opérations militaires dans la mer du Nord, décoré de la médaille de guerre et de la croix de fer, est affecté à Bordeaux en 1941. Il y trouve le répit et un certain art de vivre. Il s'y fait des amis, y compris une jeune bordelaise, Henriette, qu'il fréquente assidûment.
Aussi, lorsqu'en 1944 la guerre tourne mal pour l'occupant, convaincu par ses amis - dont certains appartenant à la Résistance -, qu'il ne sert à rien de s'obstiner, il accepte de participer à cette mission de sabotage qui finit par lui être confiée. Après l'explosion du bunker de la rue Raze, près des quais, il est pris en charge par la Résistance, alors que la Gestapo avait déjà commencé à enquêter sur lui et ses fréquentations. L'explosion fait 15 morts dont 13 sentinelles et 2 membres de la Gestapo qui le suivaient et s'étaient rendus sur place. Déserteur, et condamné à mort, il n'a d'autre choix que de rester en France, à Bordeaux. Par la suite il devient français sous le nom de Henri Salmide, épouse Henriette avec laquelle il vit jusqu'à sa mort à 90 ans, en février 2010.
La légende du « sauveur de Bordeaux » a pris naissance tardivement, et non sans peine. A la différence de Von Choltitz, Henri Salmide n'avait pas le talent de la forger. Il mena une vie simple de sapeur-pompier forestier, affecté ensuite au bateau pompe du port de Bordeaux jusqu'à sa retraite en 1969. Ses efforts pour faire valoir ses hauts faits furent longtemps vains. D'autres les revendiquaient, parmi les divers pôles de la Résistance, divisée. Les historiens faisaient valoir, non sans raison, l'existence de pourparlers préalablement engagés entre les autorités allemandes, la municipalité et la Résistance pour un repli pacifique de l'occupant, au seul prix de l'obstruction du fleuve pour rendre le port inutilisable sans autre destruction. Le Major Kühnemann, en charge de la Marine allemande, était, dans le civil, un aimable négociant en vin, amateur de Bordeaux, soucieux de l'avenir et ouvert au dialogue. La relation de causalité entre l'explosion du dépôt de munitions et le départ des allemands sans représailles sur la ville n'est pas assurément établie. Bien au contraire, puisque les pourparlers avec l'occupant se sont poursuivis jusqu'au 24 août.
Henri Salmide n'obtint jamais, malgré ses demandes réitérées, le statut de « combattant volontaire de la Résistance », faute de justifier de « 90 jours d'activité clandestine avant le 6 juin 1944 ». La légion d'honneur qui lui fut enfin accordée, en 2000, visait « 23 ans de services civils » !
Cependant il existe bien un ordre particulier n° 1221-44 qui prévoit le minage, puis la destruction du pont de Bordeaux dans la nuit du 26 au 27 août et l'anéantissement de toutes les installations économiques. Le plan prévoyait une charge explosive tous les 50 mètres sur 10 kilomètres de quais, le dynamitage de la passerelle du chemin de fer outre celui du pont de pierre. 100 kg d'explosifs et 4000 mèches lentes étaient stockés à cette fin dans le blockhaus de la rue Raze. Le dégâts en vies humaines pouvaient être estimés à 3000 morts. Heinz Stahlschmidt était bien chargé de préparer l'opération.
Comme cela a été fait pour Von Choltitz, dans la pièce «
Diplomatie », un dramaturge pourrait mettre en scène le dilemme de Stahlschmidt : faire son devoir de soldat et obéir aux ordres, ou bien suivre le conseil de ses amis et résister, pour l'amour de Bordeaux et les beaux yeux d'Henriette.
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Henri Salmide (2010) | |
Il semble qu'Heinz Stahlschmidt n'ait pas beaucoup hésité.
Sa décision, sans doute plus impulsive et, par la suite, moins bien exploitée, vaut bien les froids calculs du gouverneur du Gross Paris. Henri Salmide a su montrer une longue fidélité à celles qu'il avait choisies : sa femme et sa nouvelle patrie. Il attendra 2001 pour revenir pour la première fois dans sa ville natale de Dortmund en Westphalie. Il est enterré au cimetière protestant de Bordeaux et a demandé que son nom allemand figure sur sa pierre tombale.
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- Le siège social de Bordeaux Port Atlantique, installé à Bacalan, porte le nom d'Henri Salmide (voir le journal Sud Ouest du 17 février 2012)
- Henri Adeline (général), La libération du Sud-Ouest, Bordeaux-Royan-La Rochelle, Août 44-mai 1945, Imprimerie Baconnier, Alger, 1948.
- Robert Aron, Histoire de la libération de la France, t. 3, Arthème Fayard, 1974, p. 104 et suiv. (y figure l'ordre particulier 1221-44 prévoyant la destruction des quais et des ponts de Bordeaux)
- Dominique Lormier: Bordeaux brûle-t-il ?, ou la Libération de la Gironde 1940-1944, Les Dossiers d'Aquitaine, 2003
- Erich Schaake, L'allemand qui sauva Bordeaux par amour, Michel Lafon, 2011. Récit romancé de l'épisode, illustré de photos.
- Voir les nombreuses informations échangées sur le forum Bordeaux 39 45, animé par de Erwan Langéo, et son opuscule Bordeaux, été 44 Obstruction du port et des points de franchissement (tome 7) qui contient l'histoire du blokhaus de la rue Raze.
Outre Salmide, il reste sans doute des héros oubliées :
ainsi Pablo Sánchez, guérillero espagnol de 31 ans engagé dans la Résistance avec quelques autres maquisards de la 24e division des guérilleros FFI-UNE. Le 27 août 1944, il neutralise le système d’activation des mines que les Allemands avaient placé sur l’ouvrage. Il est a
battu d’une rafale de mitraillette par un soldat allemand caché dans une grue, en face de Saint Michel, alors qu’il quitttait le pont en criant “On a gagné!" Voir le récit dans
Sud Ouest du 14/04/2013.